
Nos collègues Tracy et Irundaï sont parties à la rencontre d’une des fermes faisant partie de la coopérative Coq des Prés, spécialisée dans l’élevage de poulets. Située à Houffalize, la ferme Dry les Cortis est tenue par Christophe et Marie et leurs enfants, qui participent activement à chaque étape de l’exploitation.
Une journée auprès des poussins
La journée commence par une visite incontournable : celle des poussins. Chaque vendredi matin, ils éclosent sous couveuse, puis sont livrés aussitôt dans les hangars de la ferme. Tout y est soigneusement préparé pour les accueillir : la température est initialement fixée à 28 °C, puis abaissée progressivement au fil des jours afin de suivre leur développement.
Leur bien-être repose sur un système mécanique complet :
- distribution automatique de nourriture en continu (mélange de céréales moulues/émiettées).
- abreuvement par goutte-à-goutte,
- chauffage par radiants,
- aération via les volets programmables
Malgré cette organisation très technique, la vigilance humaine reste indispensable. Trois fois par jour – matin, après-midi et soir – on vérifie l’eau, la nourriture et surtout le comportement des poussins.

Les premiers jours, une étape critique
Les 3 à 4 premiers jours sont particulièrement sensibles. À l’éclosion, le poussin conserve dans son abdomen un petit sac vitellin – le reste du jaune d’œuf. Ces réserves en énergie et en protéines lui permettent de survivre sans eau ni nourriture pendant 48 heures, parfois un peu plus. Mais très vite, il doit apprendre à boire et à picorer. Un poussin qui n’y parvient pas dépérit rapidement : la mortalité est estimée à 2 à 4 %.
Pour faciliter la digestion, de petites pierres sont progressivement intégrées à leur alimentation. Leur régime s’enrichit peu à peu et s’accompagne de nouveaux besoins : perchoirs sous forme de ballots de paille, zones à gratter, parcours. Ces éléments stimulent leur comportement naturel.
La découverte du plein air
Après environ 30 jours en été (ou 40 en hiver), vient le moment crucial de la première sortie. L’environnement extérieur est spécialement aménagé : plantations, haies, arbres fruitiers… tout est pensé pour donner un sentiment de protection. Le poulet a une mémoire émotionnelle forte : si la première expérience est marquée par la pluie, le vent ou le froid, il en gardera un mauvais souvenir et hésitera ensuite à sortir.
Craintifs, les poulets explorent avec prudence : 10 mètres un jour, 20 le lendemain, et ainsi de suite. Leur sécurité reste une préoccupation constante : buses et milans royaux rôdent dans la région et n’hésitent pas à attaquer.
Un élevage respectueux du rythme naturel
Ici, les poulets sont élevés environ 70 jours, bien plus longtemps qu’en élevage intensif. La race choisie, une race brune, grandit plus lentement que les blanches, respectant ainsi davantage leur cycle naturel.
Les élevages sont également encadrés par des normes. Autrefois, le nombre de volailles par bâtiment servait de référence ; désormais, c’est le poids total au mètre carré qui compte.
Aujourd’hui, la ferme compte 9 000 poussins, répartis dans deux hangars : le premier construit en 2020, le second en 2023, financé grâce au premier.
L’appui de la coopérative
Travailler avec la coopérative Coq des Prés offre de nombreux avantages :
- une ligne de conduite cohérente avec leurs convictions,
- une sécurité financière et administrative,
- la présence d’un vétérinaire intégré (contrôles sanitaires, dont le dépistage de la salmonelle),
- la possibilité de vendre une partie de leur production en direct, la coopérative absorbant le reste,
- et surtout, un réseau d’éleveurs favorisant l’échange et le soutien.
Le bio comme conviction
Le choix du bio n’est pas une simple certification : c’est une philosophie de vie. « C’est maintenant qu’il faut poser des actes forts », expliquent Christophe et Marie. Pour eux, le bio englobe l’environnement, la biodiversité et l’équilibre global de la ferme.
Sous les conseils de la Coopérative du Coq des Prés, des aménagements paysagers ont d’ailleurs vu le jour au sein de la ferme, combinant ainsi cultures et arbres fruitiers avec élevage dans un même espace : haies vives, vergers variés (pommiers, poiriers, pruniers), nichoirs + vaches ou poulets. Ces aménagements favorisent la biodiversité, créent des habitats pour la faune et renforcent la résilience du système agricole.

La ferme fonctionne ainsi en économie circulaire et tire parti des interactions entre sol, plantes et animaux:
- les cultures de seigle, semées en automne, fixent l’azote, protègent les sols des pluies hivernales, puis sont enfouies pour enrichir le sol.
- Les vaches sont en grande partie nourries par l’herbe des pâtures
- le fumier des vaches, mélangé aux fientes des poules, est épandu au printemps et nourrit la terre tout l’été, sans engrais minéraux.
- les poules grattent au pied des fruitiers, aèrent le sol et le fertilisent naturellement.
L’exploitation tend vers l’autonomie complète : électricité, eau, alimentation.
Une histoire de famille
Christophe et Marie ont grandi dans cet univers. Lui, fils de comptable agricole, elle, ingénieure agronome : ils se sont rencontrés pendant leurs études à Huy. C’est là qu’ils ont eu l’opportunité de reprendre la petite ferme du grand-père : une quinzaine de taureaux dans un vieux hangar de fortune. Ils ont commencé l’engraissement de Blanc-Bleu Belge, sans jamais imaginer pouvoir en vivre pleinement.
Au départ, l’agriculture n’était qu’un complément à leurs carrières respectives. Marie a travaillé dans les énergies renouvelables, puis comme comptable. Christophe, lui, exerçait dans la comptabilité agricole.
Leurs enfants, âgés de 10 et 12 ans, participent déjà à chaque étape et affichent l’envie de reprendre un jour. La relève est là!
Diversifier pour survivre
Le regard de comptable de Christophe a permis de percevoir le potentiel des poulets : le modèle économique tenait la route. Et heureusement car un coup dur a frappé l’année dernière la ferme : la perte d’une grande partie du cheptel bovin, représentant dix années de travail. À ce moment-là, ils ont même craint de devoir tout arrêter.
Grâce à la diversification et au soutien des autres agriculteurs, ils ont tenu bon. Les poulets et la vente directe leur ont permis de survivre. Ce tournant les a conduits à un choix radical : arrêter l’engraissement bovin et développer davantage la filière volaille. Aujourd’hui, ils construisent de nouveaux bâtiments pour accueillir des poules pondeuses, toujours dans l’esprit d’autonomie complète (panneaux photovoltaïques, batteries, eau de puits).
Des perspectives de développement
Au-delà des poulets, d’autres collaborations de diversification se dessinent. Peut-être une collaboration avec Graines de Curieux autour des lentilles et de l’avoine. Le verger, composé de plus de 200 arbres fruitiers, pourrait également s’intégrer dans une filière spécifique, avec une coopérative prête à racheter les fruits si la ferme ne peut plus les récolter et les vendre elle-même.
Une journée au rythme de la ferme
Durant cette journée, nous avons également eu l’occasion de nous occuper des bovins et du verger.
On pense souvent, à tort, que les agriculteurs sont figés dans le temps, mais cette ferme montre le contraire. Chaque jour, ils réinventent leur travail, adaptent leurs pratiques et respectent le rythme naturel de leurs animaux.
Entre 9 000 poussins, 90 vaches et 207 arbres fruitiers, chaque élément trouve sa place dans un écosystème vivant, où la famille s’investit pleinement. Leur parcours est la preuve de résilience, de courage et de force, et montre que tradition et innovation peuvent coexister.
Et nous, chez Les Petits Producteurs, devons continuer à transmettre ces histoires, tout en garantissant un prix juste et surtout une stabilité qui permet aux producteurs de faire face aux aléas, aux imprévus et aux pertes.
Tracy










