
Il y a quelques semaines, notre collègue Eva a passé une journée complète à la Ferme au Vivier, qui nous fournit le fromage Grand Charme. Elle nous raconte son aventure, riche en découvertes et en échanges.
Ce lundi 10 mars, j’ai eu la chance de rencontrer Cyrille Larock et Zoë Roger, agriculteurs, éleveurs et artisans fromagers, à la Ferme au Vivier à Rotheux (Neupré). Leur élevage est l’héritage de Louis Larock, précurseur dans le champ de l’agriculture biologique en Belgique, lui-même héritier de son père. Cyrille est la quatrième génération d’éleveurs de sa famille. C’est sur le lieu-dit « au vivier », où Zoë et Cyrille ont récemment relocalisé leur ferme et leur habitation, qu’ils élèvent et soignent leurs bêtes, 25 vaches laitières ainsi que quelques jeunes vaches et bœufs, et où ils produisent lait, crème, maquée, fromage et viande. C’est aussi là, au-dessus des étables, de la fromagerie et de la crèmerie, qu’ils vivent avec leurs deux enfants.

Zoë parle de ses vaches avec attachement. Chaque vache porte un nom, une petite fantaisie qui permet d’« individualiser » les bêtes. Elle les décrit comme des animaux insoupçonnés, imposants par leur taille et toutefois pacifiques, accueillants, avec une force douce et sereine. Elles ont un côté amitieux sans être intrusives, offrent beaucoup (leur veau, leur lait, leur chaleur, leur viande), et on a à apprendre à leur contact. « C’est un peu notre famille », dit-elle.
Cette immersion dans les coulisses de la fabrication de l’un de mes fromages préférés, le Grand Charme, mais surtout dans leur quotidien familial, s’est avérée riche en apprentissages, en sensations et en partage.
D’une part, d’un point de vue technique, j’ai pu m’exercer à la traite de bon matin et j’ai suivi de A à Z la transformation des produits qui en sont issus. J’ai notamment eu la chance d’assister Zoë dans la fabrication du Grand Charme, fromage à pâte pressée cuite non pasteurisé, une fabrication « à l’ancienne » réalisée manuellement et dans un chaudron contenant 270 litres de lait (soit le résultat de trois traites successives), dans le respect des traditions jurassiennes. Jusqu’il y a peu, Cyrille et Zoë chauffaient le chaudron au feu de bois ; ils privilégient aujourd’hui le gaz pour des raisons évidentes de gain de temps et d’énergie physique. J’ai aussi participé à la fabrication de beurre, au processus d’écrémage du lait et donné un coup de main pour l’entretien des infrastructures et le nettoyage du matériel. Pendant que Zoë hersait au champ, j’ai pu prêter main forte à Cyrille dans la constitution des réserves de bois.
D’autre part, j’ai pris connaissance des rudiments de la biodynamie qui, plus encore qu’une ligne de conduite pour l’activité agricole, renvoie à une idéologie avec un penchant tantôt philosophique, tantôt mystique, se déclinant en différents domaines, par exemple la pédagogie avec les écoles Steiner. La biodynamie, commercialisée via la marque « Demeter », renvoie à une agriculture qui fait la part belle aux forces sensibles, permet d’améliorer la fertilité, l’équilibre et la santé du bétail et des terres. Ce courant envisage l’environnement au sens large et vise à lui apporter davantage que ce qu’on y « prélève ». Zoë explique qu’il existe notamment cinq recettes de plantes médicinales utilisées à doses homéopathiques et qui permettent d’améliorer le compost qui, chaque printemps, est pulvérisé sur leurs terres. Elle rapporte aussi l’intérêt de ne pas écorner les vaches, car éviter cette mutilation influe sur le métabolisme de l’animal et améliore la qualité nutritionnelle du lait. Zoë et Cyrille mesurent les résultats de ces techniques, transmises par Louis Larock qui les soutient et les assiste dans cette voie, sur la santé de leurs vaches mais aussi à travers les résultats des contrôles laitiers qui indiquent que leur lait est d’une qualité nutritionnelle supérieure à la moyenne wallonne.
Au-delà de ces apprentissages techniques et théoriques, j’ai pris conscience de l’exigence tant physique que mentale que requiert ce métier multi-casquettes. Zoë et Cyrille ne sont pas seulement éleveurs, producteurs et transformateurs, ils ont aussi à assurer des charges administratives, une gestion commerciale, ils sont soignants et ont à ce titre la responsabilité de la santé et de la sécurité de leurs bêtes, ils veillent sur le vivant et en créent – je fais ici référence autant à leurs produits, vivants de par leur constitution à base de lait cru, qu’à l’insémination à laquelle j’ai eu la chance d’assister. J’ai appris que de cet acte, d’une durée de quelques minutes à peine et qui peut paraitre « anodin » d’un regard extérieur, dépend l’avenir de leur ferme.
J’ai saisi la rigueur des procédés de fabrication (il faut des mois pour parvenir à la maîtrise des fromages) et la tension dans laquelle ils se trouvent en regard des pertes (un fromage qui ne prend pas, un climat déplorable qui amoindrit la qualité du foin…). J’ai admiré leur capacité à assurer leur mission de parents, en parallèle de celles précédemment énoncées. Soigner leur bétail inlassablement et dans des conditions parfois rudes, en étant régulièrement amenés à accomplir leurs tâches en compagnie de leurs enfants en bas âge, constitue un défi qu’ils relèvent jour après jour. J’ai mesuré l’endurance et la force de ces super-héros des temps modernes qui se dévouent corps et âme à leur activité (activité qui ne comporte ni horaire, ni délimitation entre vie privée et vie professionnelle) et à leurs bêtes. J’ai vu Cyrille et Zoë fiers de leur élevage, de leurs produits. Ils m’ont communiqué un peu de leur amour des vaches, dont j’ai pu saisir la force, la générosité et la sérénité. Cyrille et Zoë portent de belles valeurs de respect des traditions, de préservation du vivant dans son ensemble avec un soin porté à l’environnement, aux bêtes mais aussi aux consommateurs via la qualité de leurs produits, tout en maintenant une activité agricole à petite échelle qui s’inscrit dans un circuit court (achat de céréales et de carottes à la ferme Barré, par exemple).